vendredi 10 octobre 2008

Juin 2008, quand le nommage internet a changé d’ère (1/3)

Par Charles Tiné, directeur général du MailClub
http://domaines.mailclub.fr

Le 23 juin 2008, un article des Echos annonçait la fin des restrictions sur la création de nouveaux domaines de premier niveau, les fameux TLDs, les .com et autres .fr. Passée à peu près inaperçue aux yeux du grand public, cette nouvelle a fait l’effet d'une bombe dans le petit monde des professionnels du nom de domaine, qu'ils soient responsables d'entreprises, bureaux d'enregistrement ou investisseurs en noms de domaine (les « domainers »).

Même si l'article allait un peu vite en besogne, le président de l'Icann, l’entité qui décide de la création de nouveaux domaines de premier niveau, ayant apporté le lendemain des précisions importantes lors d’une interview accordée au site mailclub.info, notamment en ce qui concerne les coûts de lancement de ces nouveaux TLDs (« 6 chiffres… en dollars »), les implications des changements de règles, annoncés pour 2009 sont potentiellement gigantesques... pour le meilleur et peut-être le pire.

Jusqu'à présent, les nouveaux TLDs étaient lancés selon un processus long et semé d'embuches. Les .biz, .info et autres .jobs ont mit des années à voir le jour, le .xxx a été plusieurs fois recalé. Les promoteurs de ces projets devaient développer un lobbying puissant et prouver à l'Icann que leurs projets étaient solides et correspondaient à un réel besoin de la communauté internet, ce qui reste d'ailleurs à prouver, même pour les projets qui ont vu le jour... (qui utilise aujourd'hui le .travel, le .museum ou le .jobs...?).

Le changement fondamental à venir est que l'Icann ne se posera plus en juge de l'utilisation du TLD, mais simplement en vérificateur que le projet est techniquement et financièrement viable, et ne risque pas de mettre à mal la stabilité de la structure de l'internet. Si ces conditions sont remplies, le TLD sera autorisé, sans aucun jugement de valeur sur l'intérêt de son lancement. Le droit des marques sera bien entendu pris en compte, mais de toute façon, à plusieurs centaines de milliers d'euros le TLD, le TLDsquatting, c’est-à-dire l’enregistrement de la marque d’autrui comme domaine de premier niveau, devrait quand même être plus limité que celui qui touche les .com !

Ce nouvel univers du possible va voir éclore des dizaines de nouveaux TLDs. Des projets sont déjà bien avancés, souvent autour de thématiques, de communautés, de villes ou de métiers : .sport, .paris, .bank, .xxx (une fois de plus), etc. Que cette multiplication soit utile ou non pour l'internaute lambda est un vaste débat. Nous nous attacherons seulement ici à analyser les conséquences de ces nouvelles règles sur la stratégie des entreprises, règles qui doivent les faire réfléchir sur l'univers de protection de leurs marques d'une part, et sur les opportunités offertes par la possibilité qu'elles auront de créer leurs propres extensions (.danone, .coke, .microsoft...) que nous désignerons ici par le terme de « CorpTLD ».

Les conséquences de la libéralisation sur la stratégie de nommage des entreprises.

Les entreprises vivent aujourd’hui dans un univers assez simple. Elles disposent de quelques gTLDs et assimilés (com/net/biz/mobi/eu/asia...), avec en gros une à deux nouvelles extensions en plus chaque année. Même si l'intérêt des nouveautés proposées reste discutable, les entreprises acceptent bon an mal an les coûts induits par les maintenant fameuses « sunrise periods », ces périodes réservées aux propriétaires de marques et leur permettant d’en déposer prioritairement les noms de domaine. Ils n'ont rien demandé, comprennent bien que c'est l'industrie des noms de domaine qui invente et crée des besoins, lui permettant de générer de confortables revenus basés sur un modèle économique implacable, les entreprises étant « obligées » de protéger leurs marques.

L'Oréal a certes protégé son .mobi, mais ne se soucie pas de mettre un site derrière ni de communiquer sur une éventuelle application mobile de ses sites. Le .tel arrive bientôt... rebelote, tout le monde protègera son .tel, en pensant très fortement que cette extension ne sert absolument à rien, mais c'est le jeu. Aucune entreprise ne s'est révoltée jusqu'à présent, et il suffit de voir le peu de présence des gestionnaires de marques lors de la réunion de l'Icann à Paris en juin dernier pour s'en convaincre.

Les coûts sont finalement assez raisonnables et le modus vivendi tient, tant que l'industrie des noms de domaine ne tire pas trop sur la corde. Les limites posées jusqu'à présent par l'Icann ayant assez bien fonctionné. Les entreprises ont su adapter leur stratégie et on a d'ailleurs noté une évolution sensible ces dernières années, au fur et à mesure qu'elles comprenaient le petit jeu qui était en train de se créer pour leur faire dépenser de plus en plus en noms de domaine… inutiles. Entre le .eu et le .asia la différence a été notable : 345 000 demandes de .eu lors de la sunrise il y a 4 ans... à peine 30 000 .asia l'année dernière. Les mêmes entreprises qui avaient dupliqué en .eu leurs portefeuilles de .com il y a 4 ans, ont limité leurs dépôts de .asia à leurs principales marques, s'appuyant ensuite sur l'évolution de la jurisprudence pour récupérer des domaines déposés par des tiers et utilisés de façon litigieuse.

Cette évolution stratégique n'est au bout du compte pas forcément la moins chère, une surveillance, une UDRP ou un rachat pour un seul domaine coûtant au bout du compte le prix d'une centaine de noms de domaine génériques, mais c'est une autre histoire...

Tout va bien dans le presque meilleur des mondes, donc. Les entreprises ne rechignent pas à une dépense, pas forcément utile mais limitée, que leur imposent les professionnels des domaines dont le business se porte très bien, merci pour eux. Elles adaptent leurs stratégies de nommage aux lancements réguliers mais somme toute limités de nouveaux gTLDs, auquel il faut ajouter les ouvertures de « ccTLDs » (extensions pays), parfois gérés de la même manière (pour exemple la sunrise du .me, l’extension du Monténégro transformée en extension nombriliste, le « .moi ») et dans le même objet (purement mercantile), mais auxquels les grands comptes ne peuvent se soustraire...

Mais demain tout va changer. Il suffira d'avoir un dossier techniquement solide et financièrement sain pour lancer un nouveau TLD. L'Icann ne se posera plus en juge de son utilité, charge qui reviendra alors au marché. Ce ne seront plus une ou deux sunrises par an, mais peut-être des dizaines... Quelle sera alors la réaction des entreprises face à la croissance gigantesque de leurs budgets de nommage internet ? Seront-elles toujours aussi silencieuses face à ces nouveaux enjeux ? Que deviendront leurs marques face un cybersquatting qui devrait mécaniquement exploser ? Quelles stratégies de nommage mettront-elles en place ? Quel sera le multiplicateur de leurs budgets noms de domaine pour faire face aux lancements des .paris, .bzh, .sport, .music, .film, ...?

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